Les aventures palpitantes du ❤️

Comment les boulangeries du 20e sont de nouveau fréquentables

On ne sait pas ce qu’on ne sait pas. C’est un fait. Un fait agaçant, mais on ne peut pas le nier. Enfin on peut nier qu’on est en train de le nier, mais arrêtons nous là pour le moment. Je ne savais pas que mon cœur était fermé tant que je ne savais pas ce que c’était de vivre avec mon cœur ouvert.

Je m’explique. J’ai grandi en France, dans un contexte où la méfiance est de règle, la moquerie une arme et le jugement une seconde peau. Dans beaucoup de groupes sociaux, c’est même valorisé et ça favorise l’intégration. Bien sûr que de mettre des mots dessus me fait avoir ma tête horrifiée du type: “Oh non-non-non, il ne faut pas, pourquoi est-ce que des gens vivraient comme ça? C’est trop triste!”.

J’ai ma petite idée sur le pourquoi. Des siècles d’oppression, des monceaux de blessures individuelles et collectives non soignées, la déconnexion à la Terre, à nos racines, à nos ancêtres, à l’Invisible et ultimately, à nous mêmes. Qui aurait envie de tendre la deuxième joue quand la vie lui a déjà flanqué une bonne grosse claque sur la première? C’est très sain et logique de se protéger quand on a souffert, et une manière somme toute efficace de ne pas heurter son cœur est … de le fermer. A double tour.

Photo gratitude DesignEcologist

Le pourquoi est une chose, mais la plus intéressante à mon sens est d’avoir réalisé que je n’étais pas exempte de tout ça. Sans me vanter, j’aurais pu largement être sur le podium de la moquerie pendant des années. Quand je vois la batterie de tests internes pour laisser vraiment quelqu’un s’installer près de mon cœur, j’aimerai appeler ça du discernement, mais le mot méfiance clignote plus fort que les lumières de la Tour Eiffel. Et le confinement a fait ré-émerger la part de moi qui a un avis sur tout et tout le monde (appelons un chat un chat: la part de moi qui juge). – A ce propos, on a ajouté une interview passionnante dans le mini-module gratuit du bûcher, elle m’a bien aidée, allez y jeter un œil si vous êtes aussi tanné.e de votre juge intérieur que moi.

Bref, de Burning Man en cours de Qoya, de voyages au bout du monde en exploration silencieuse de mon être, et surtout à force de rencontres d’autres humains avec le cœur ouvert, le mien a fini par timidement, un pas à la fois, sortir de sa tanière.

L’existence est plus enthousiasmante que jamais et on dirait que la vie anciennement en pastel est passée en couleurs vives.

Mais ce n’est pas de tout repos. Un chien qui se foule la patte arrière et j’ai une larme au coin de l’œil, une plante qui fait une nouvelle feuille et j’ai l’impression que ma cage thoracique n’est plus assez grande et il m’arrive même parfois de devoir m’allonger pour intégrer la beauté ou la peine de ce qui est en face de moi. Mais tout ça n’est rien par rapport à la douleur de voir mon cœur se refermer. De ressentir la peur remettre des barreaux pour me protéger de ressentir.

Alors que je jugeais depuis le balcon un énième voisin qui était dans la rue “avec seulement une baguette de pain”, il est devenu clair que le problème n’était pas le voisin. Le problème est que cette période est si incertaine qu’elle me demande de faire face à plus de peurs, de deuils et d’incertitude qu’habituellement. Et mon cœur essaye de se rouler en boule sur lui-même pour éviter d’être touché et correspondre à la vieille idée qu’être fort.e, c’est ne rien ressentir. Alors j’ai regardé mon cœur avec compassion, je l’ai compris et dans la sécurité de mon petit confinement parisien, je lui ai proposé cette bonne vieille expérience: ressentir. Un peu tous les jours. A commencer par le deuil.

Je danse, j’écris, je pleure, je pense et panse mes deuils avec détermination. Et surtout je ressens.

Petit peu par petit peu. Un peu comme les trains, un deuil en a caché un autre. Et un autre. Et un autre. Et en fait c’était carrément la boîte de Pandore. Du deuil de la vie que j’ai connu avant, de la personne que j’étais avant, d’une forme d’insouciance, j’en suis arrivée à tous les deuils jamais faits stockés dans mon corps depuis 35 ans. Loin d’être douloureuse ou triste, cette expérience me donne la sensation d’être une montgolfière dont on délesterait les sacs de sable un à un. Je retrouve de la légèreté. Mon cœur se ré-ouvre. Et les voisins peuvent aller à la boulangerie sans risque.

Où que vous soyez, j’espère que vous prenez bien soin de votre cœur.